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ECRITS SUR MICHELINE HACHETTE

 
 

1 — Les œuvres homologuées de Micheline Hachette dans le secteur de l’être vivant se placent surtout dans l’esthapéïrisme fondé sur le supertemporel.

Dans le premier festival dédié à ce domaine, en 1970, elle présenta A propos de Nice, film infinitésimal, Le Petit livre d’or de l’externité, danse infinitésimale ciselante, L’Achat d’un tube de dentifrice, poème infinitésimal amplique, et Propos hypocrites, oeuvre  super temporelle.

Au festival d’Edinburgh d’août 1973, Micheline Hachette réalisa In, film à distribuer, qui exigeait le déplacement corporel réel de l’individu, chargé de l’offre de son œuvre.

Mais n’oublions pas que Micheline Hachette est, pour l’instant, la première personnalité féminine du groupe lettriste, celle qui s’est montrée la plus résistante et la plus solide d’un mouvement d’avant-garde durable, exigeant une grande densité et un courage permanent des êtres décidés à combattre pour imposer les conceptions originales de cette tendance.

Isidore Isou. Extrait de «L’Art corporel lettriste», Ed. Psi, 19771977.



2 — Lumière jaune du soir. Fond jaune, les couleurs se dédoublent en deux tons de bleu et un orange. Le labyrinthe de signes ainsi conçu ne montre ni son début ni sa fin. Sur le carton en bas à droite droite: « Yellow Evening Light – Micheline Hachette 1974- 55x46 ». Je retrouve les termes de la carte de E. Parfois perdu en mer je regarde le sable en me souvenant de ces mots mots: il est des victoires amères, des nostalgies d’ailleurs. Et je reste longtemps, accoudé à la fenêtre de cette esthétique que j’aime, dans cette lumière particulière. Cette lumière jaune du soir.

J.P.F. gillard (Libération, 1978)).



3 — Micheline Hachette, préoccupée dans la plastique hypergraphique par l’analyse et la synthèse infinie des signes géométriques, forgeant un cubisme ciselant de la lettre et du signe, a exprimé ces préoccupations dans la dimension sonore avec Intervalle (ELH, 1966).

Elle aborde les phonèmes avec le détachement du chirurgien qui voit les plaies, mais ne sent pas la douleur. Ainsi ses expressions sont-elles plus destinées à la vision qu’à l’audition. Des signes diacritiques, destructifs, parsèment le jeu typographique, qui intime aux lettres des poses surprenantes par leur sècheresse. Intervalle ou les balbutiements laconiques d’un robot au bord de la panne.

En 1969, les Lettries Acides mènent cette démarche plus loin, grâce à une variété typographique accrue et à l’introduction, au milieu des arrangements phonétiques précieux, de lettres hypergraphiques, plastiques.

Déjà, en 1967, avec le Poème cubiste, Micheline hachette avait offert l’image d’un cube formé de lignes monolettriques qui pouvait représenter le prototype d’une mise en relief géométrique, distorsion projective de la ciselure.

On peut citer, entre temps, les recherches du recueil Les Chants du Sigisbée.

Jean-Paul Curtay, «La Poésie lettriste». Ed. Seghers, 19741974.



4 — La première œuvre sonore de Micheline Hachette, Intervalle, datée de 1966 et publiée à cette époque par les Editions ELH, s’appuie, d’une certaine manière, sur des préoccupations antérieures, situées dans la plastique hypergraphique, qui ont amené cette artiste à explorer systématiquement, depuis 1964, les facettes multiples d'une rythmique ciselante, précisément hermétique ou destructive,fondée sur la redéfinition géométrique de son matériel.

Avec cette oeuvre, elle nous donne une correspondance sonore de ses travaux visuels et marque la dimension auditive de la lettre par une sorte de  « cubisme ciselant », qui se manifeste sous la forme d'un principe d'alternance de phonèmes appuyés, indiqués dans la partition en capitales épaisses et noires, en général isolées et constituées la plupart du temps par des sonorités consonantique et des regroupements sonores répétés, quasi-monotones, dans lesquels dominent le plus fréquemment les voyelles. Ces derniers éléments s'enrichissent et se compliquent,au fur et à mesure du déroulement temporel de la réalisation, au point de perdre leur spécificité, pour s'offrir (presque) indistinctement. Sept hypergraphies interviennent, en regard des partitions, comme pour transcrire, affirmer, avec d'autres moyens, les valeurs sonores et sont, en quelque sorte, de par la diversité des composants proposés, une véritable anthologie des réalisations visuelles de cette artiste.

Dans cette composition, où les espacements entre deux lettres fortes sont accordés ou remplis, l'artiste semble retrouver — peut-être inconsciemment — le« problème harmonique général » (incluant celui, particulier de la musique) dont Platon témoigne dans République, qui définit l'intervalle comme un ensemble formé de deux tons et la relation ou rapport qui les unit; les intervalles sont comblés par interposition entre deux sonorités, d'autres sonorités unies aux deux premières par des rapports (non constants), selon les cas, arithmétiques ou harmoniques.

L'impression sonore générale de l'ensemble résultant, en définitive, des accords ou des consonances (« symphonia», Platon) de ces intervalles.

A propos de cette oeuvre, Intervalle, Jean-Paul Curtay écrira, avec justesse,me semble-t-il, mais non sans lyrisme, dans La Poésie Lettriste (Ed. Seghers, 1974),que Micheline Hachette « aborde les phonèmes avec le détachement du chirurgien qui voit les plaies, mais ne sent pas la douleur. Ainsi, ses expressions sont-elles plus destinées à la vision qu'à l'audition. Des signes diacritiques destructifs, parsèment le jeu typographique, qui intime aux lettres des poses surprenantes par leur sécheresse. Intervalle ou les balbutiements laconiques d'un robot au bord de la panne ».

Les lettries publiées dans le recueil Lettries Acides, de 1969, poursuivent ces explorations en les développant plus avant, toujours dans un ciselant extrême,vers une concentration et un hermétisme exagérés dans lesquels les particules lettriques non conceptuelles s'éparpillent — s'éclatent — dans une multiplication — débauche — typographique, en se mêlant, dans un arrangement général précieux, à des lettres hypergraphiques plastiques, indicibles.

Lettries Acides parachève une composition de 1967, intitulée sans ambiguité Poème Cubiste, où cette artiste nous offre l'image d'un cube, constitué de lignes monolettriques superposées, que l'on peut situer, dans le contexte complet de ses accomplissements, comme une tentative de mise en relief sonore de la géométrie du cube ou une « distorsion projective de la ciselure » (Jean-Paul Curtay, LaPoésie Lettriste).

Sigisbée, de 1968, qui, en reprenant les organisations typographiques et les lettres plastiques de multi-écritures, déjà explorées dans les morceaux précédents, s'ouvrent à une originalité, nouvelle pour cet auteur, fondée, en illustration du thème des troubadours et des trouvères, sur des formes fixes de lapoésie du Moyen-Age.

En 1970, toujours dans l'exception du prétexte thématique, mais cette fois dans l'art esthapéïriste des virtualités innombrables de la versification, Micheline Hachette composera un Poème infinitésimal amplique qu'elle présentera d'ailleurs elle-même au public, le 4 juin 1970, dans le cadre du Premier Festival International d'art infinitésimal et supertemporel.

Mais les fondements «primaires » de Micheline Hachette ne cessent de s'approfondir et de gagner dans le ciselant — domaine où elle excelle — une complexité qui lui permettra de s'épanouir pleinement. En 1976, elle publie dans La poésie et la musique lettristes, aphonistes et infinitésimales (La Novation, n°5/6, 1976) six poèmes infinitésimaux (dont les titres particuliers à chacun: Usine,Tri spontané, Alternance simple, Symbolisation, Les Nombres ou Etiquettes,témoignent de l'intérêt que cette artiste porte aux mathématiques modernes)fondés sur des ensembles dans lesquels des formes visuelles élémentaires: les carrés, les cercles, les rectangles et autres trapèzes, données pour des valeurs poétiques ou musicales imaginaires, sont sélectionnées, dénombrées ou mises en relation avec des cardinaux ou des composants étrangers, hétéroclites, qui suggèrent autant d'associations ou de cadences, également impossibles de ces éléments.

Roland Combet, in « Berenice » n°4, Anno II, novembre 1981, Marzo 1982 (p.p. 55-57)



5 L’oeuvre à la fois polymorphe et sérielle de Micheline Hachette est très représentative d’une approche où se conjuguent et se déclinent harmonieusement des apports essentiels antérieurs et une recherche très pointue, quasi minimaliste à certains moments, de par le matériel mis en jeu: on a très souvent dit et écrit que cette artiste était une hypergraphie cubiste; Hachette, en effet, enserre ses sujets de formes géométriques, rectilignes, anguleuses, sans qu’aucun déhanchement ne vienne jamais désarticuler ces constructions où les angles succèdent aux droites et les carrés aux cubes. Elle palisse ainsi le réel, et les sujets qu’elle «anamorphise» sortent toujours grandis de ces assauts «cubistes». Elle pratiquera aussi la «mise en abyme» de signes dans le signe et a réalisé une importante série de photographies où elle mettait «en scène» des formes diverses d’art corporel lettriste, ciselant.

Selon que la plasticienne est intervenue directement sur le cliché final ou que l’hyper(photo)graphe a intégré dans la photographie ses formes plutôt anguleuses, l’effet est très différent; dans le premier cas on déchiffre deux histoires dont l’une servait de tamis, de sas à une approche introjective; l’oeil reflue sans cesse à la première surface de lecture; dans le second cas, il y a une constante interaction entre les motifs primitifs et ceux dont on sait qu’ils ont été ajoutés par l’artiste; les derniers semblent jaillir des entrailles du réel: il y a alors un aspect ludique à se laisser aller tantôt dans le sens dénotatif tantôt dans le «contre-sens» connotatif, impénétrable de ces signes avoisinants, puis vive-versa.

   Frédérique Devaux, in  «L’Avant-garde photographique lettriste (1951-1990)», Ed. AVC, Paris 1990



6 - Le Déjeuner sur l’herbe de Micheline Hachette, présenté pour la première fois, en 1978 au Palais du Luxembourg dans le cadre du Salon de la Lettre et du Signe, me semble, comme « réinterprétation infinitésimale » représenter une illustration majeure de cette novation par la façon dont elle met en scène des réalités virtuelles et imaginaires à partir d’un monument de l’histoire la peinture. Pour suggérer un tableau aussi célèbre, constituant en soi une rupture dans la peinture du XIXe siècle, si troublant par ce qu’il introduit de mise en abîme d’une thématique débouchant sur une hallucinante ironie, Hachette recourt à des notations-tremplins simples et même prosaïques.

A partir de la disposition d’un pique-nique de supermarché, réduite, sur un plan d’herbe factice, à quelques verres en plastique, des assiettes en carton, plusieurs serviettes de papier à carreaux et des cubes surchargés de notations (ceux-ci figurant la la signature de l’artiste et sa présentification), cette œuvre me semble résoudre opportunément le problème de la perception, obtenue au-delà du concret dans l’imaginaire, par la mutation des sens, fondée sur la substitution d’une représentation par une autre, différente, inconcevable qui, en elle-même, ne s’imposera que comme l’une des expressions envisageables du modèle pris en  référence. L’âme des personnages, peints grandeur nature par Manet, plane sur le contexte environnant suggérée dans la réinterprétation dans le but, me semble-t-il, de rendre présent ce qui, par essence, est absent, mais, en même temps, si présent au travers de cette inédite représentation du célèbre tableau moderne.

(…) J’ai toujours eu le sentiment que l’œuvre lettriste de Micheline Hachette avait un sens, et même du sens. C’est certainement parce que, plus particulièrement dans le domaine des arts visuels où elle s’est exprimée dès le tout début de 1964, elle a su réaliser et distribuer dans le temps, plusieurs œuvres « phares » explicites, qui appartiennent de plain-pied à la culture lettriste contemporaine, au point de parvenir même à la symboliser. Je veux parler de Méca-esthétique pour la construction d’une demeure (1968) qui figure aujourd’hui dans les Collections du Paul Getty Musuem. Sous le titre général de  Demeure et Maison, ce projet architectural édifie sa convulsive beauté au travers d’une paire de bottes en caoutchouc recouverte d’inscriptions blanches, devenue, à la vue du temps présent et par son aspect extérieur, un étrange reflet de nombre de réalisations de bâtisseurs et designers du pompiérisme urbain actuel. Mais je veux aussi parler de L’œuvre  supertemporelle sado-masochiste (1976) et du Déjeuner sur l’herbe (1978). Il faut y ajouter d’autres ponctuations, à mon sens remarquables, notamment sa Suite pharaonique (1982), composée d’un ensemble de 28 pièces où les déclinaisons pseudo-hiéroglyphiques sont l’objet d’une migration fracassante au sein de la multi-écriture.

Si les inclinaisons personnelles marquent les œuvres réalisées par les uns et les autres, il faut, me semble-t-il, se garder de les transformer en des clés de lecture totalisante. Pourtant, dans des stratifications qui vont de la simple thématique à la mise en scène de choix esthétiques, celles-ci travaillent avec la conduite des contributions individuelles. Pour Micheline Hachette, la psychanalyse et l’égyptologie appartenaient à ses penchants principaux. En 1992, à la Biennale de Venise, elle exposait l’une de ses trois œuvre excoordiste sur tissu où ses signes de prédilection n’apparaissent plus qu’au travers des perforations opérées dans le support. Cette réalisation n’est pas sans rappeler une belle pièce antérieure, choisie dans la même matière, pour illustrer ses combinaisons d’Hypergraphie, cette fois-là splendidement mises à nu et étendues sur un drapé de très grandes dimensions.

Chaque membre du groupe lettriste s’identifie à l’univers des signes qu’il a peu à peu tissé. Dans le domaine de l’hypergraphie, si je pense à Micheline Hachette, je vois se déployer un travail distingué, marqué par des enchaînements stylistiques continûment réfléchis et sans faille. Si ses premiers tableaux proposent initialement différents signes marqués par un géométrisme accentué à l’allure cubiste, cette artiste développera rapidement des lettres déformées de l’alphabet latin, imbriquées les unes dans les autres, qui deviendront caractéristiques de son style, comme on le perçoit dans Lettre à Guatimozin, présentée à la Galerie Stadler en 1964. Par la suite, cette organisation qui intégrera progressivement des caractères notionnels va s’intensifier dans des carrés systématiquement juxtaposés, recouvrant entièrement l’espace donné à voir. Nombre de ses œuvres seront publiées dans des revues (Ur, Psi, Ether) et feront l’objet de multiples expositions. Elle fut notamment invitée à participer à Materializzazione del linguaggio, en 1978, à la Biennale de Venise.

Micheline Hachette a mené parallèlement ses recherches dans les arts plastiques et sonores. Dans ce dernier registre, elle est l’auteur d’une cinquantaine de poèmes lettristes, infinitésimaux et supertemporels. Il me semble juste de restituer ici une partie de l’article que Roland Combet lui consacra dans la revue Bérénice (n°4, 1981 – 1982): « A propos de son œuvre, Intervalle, de 1966, Jean-Paul Curtay écrira, avec justesse, me semble-t-il, mais non sans lyrisme, dans La Poésie Lettriste (Ed. Seghers, 1974), que Micheline Hachette aborde les phonèmes avec le détachement du chirurgien qui voit les plaies, mais ne sent pas la douleur. Ainsi, ses expressions sont-elles plus destinées à la vision qu'à l'audition. Des signes diacritiques destructifs parsèment le jeu typographique, qui intime aux lettres des poses surprenantes par leur sécheresse. Les lettries publiées dans le recueil Lettries Acides, de 1969, poursuivent ces explorations en les développant plus avant, toujours dans un ciselant extrême, vers une concentration et un hermétisme exagérés dans lesquels les particules lettriques non conceptuelles s'éparpillent — s'éclatent — dans une multiplication — débauche — typographique, en se mêlant, dans un arrangement général précieux, à des lettres hypergraphiques plastiques, indicibles. Lettries Acides parachève une composition de 1967, intitulée sans ambiguïté Poème Cubiste, où cette artiste nous offre l'image d'un cube, constitué de lignes monolettriques superposées, que l'on peut situer, dans le contexte complet de ses accomplissements, comme une tentative de mise en relief sonore de la géométrie du cube ou une distorsion projective de la ciselure (J.-P. Curtay, La Poésie Lettriste). Sigisbée, de 1968, qui, en reprenant les organisations typographiques et les lettres plastiques de multi-écritures, déjà explorées dans les morceaux précédents, s'ouvrent à une originalité, nouvelle pour cet auteur, fondée, en illustration du thème des troubadours et des trouvères, sur des formes fixes de la poésie du Moyen-Age. En 1970, toujours dans l'exception du prétexte thématique, mais cette fois dans l'art esthapéïriste des virtualités innombrables de la versification, Micheline Hachette composera un Poème infinitésimal amplique qu'elle présentera d'ailleurs elle-même au public, le 4 juin 1970, dans le cadre du Premier Festival International d'art infinitésimal et supertemporel. Mais les fondements primaires de Micheline Hachette ne cessent de s'approfondir et de gagner dans le ciselant — domaine où elle excelle — une complexité qui lui permettra de s'épanouir pleinement. En 1976, elle publie dans La poésie et la musique lettristes, aphonistes et infinitésimales (La Novation, n°5/6, 1976) six poèmes infinitésimaux (dont les titres particuliers à chacun: Usine,Tri spontané, Alternance simple, Symbolisation, Les Nombres ou Etiquettes, témoignent de l'intérêt que cette artiste porte aux mathématiques modernes) fondés sur des ensembles dans lesquels des formes visuelles élémentaires: les carrés, les cercles, les rectangles et autres trapèzes, données pour des valeurs poétiques ou musicales imaginaires, sont sélectionnées, dénombrées ou mises en relation avec des cardinaux ou des composants étrangers, hétéroclites, qui suggèrent autant d'associations ou de cadences, également impossibles de ces éléments. »

En dehors de son œuvre plastique et poétique, Micheline Hachette a également  proposé plusieurs réalisations virtuelles telles que  Le petit livre d’or de l’Externité, une danse infinitésimale amplique, ou Propos hypocrites, mais aussi plusieurs films: en 1970, Aimer un être, (des petites cœurs roses destinés à être attachés à la boutonnières des spectateurs), A propos de Nice (réalisé en compagnie d’Annie et de Ben Vautier dans le cadre du 1er Festival International d’Art Infinitésimal et Sup.); en 1978, Frissons créateurs au fil du Nil (le déroulement de deux bobines de fil parmi les spectateurs en les invitant à faire des jeux de mots sur fil) et L’année dernière à Abou Simbel (qui consistait en un dépôt de sable sur l’écran). C’est la même année qu’elle composera sa Suite infinitésimale sur six réflexions esthétiques louches, représentant la version infinitésimale  possible d’un film policier.

Si diverses actions mémorables du groupe lettriste, notamment à l'occasion du récital du Théâtre de l'Odéon, en janvier 1964, et de la représentation des œuvres chorégraphiques d'Isou et de Sabatier sur la scène de l'Ambigu en 1965, me restituent la personne de Micheline Hachette, son souvenir, je dirai charnel, se perpétue aussi à travers la photographie de 1964 où elle apparaît avec tant de grâce dans la célèbre Robe à lire de son compagnon.

Lors de sa disparition subite, en 1993, Roland Sabatier lui rendait un hommage émouvant à l’occasion du vernissage de son exposition personnelle à La Galerie de Paris au travers d’une lettre exposée entre ses installations de vêtements jonchés à même le sol. J’en extrais un passage qui prend l’allure d’un pacte qu’il ne trahira jamais avec sa compagne de trente années: « Micheline Hachette me reprochait, gentiment, de l’écraser par mon œuvre propre qui, au fil des années, est devenue monstrueuse, terriblement envahissante. Aujourd’hui, et alors que moi, toujours vivant, je peux encore perdre la tête et tomber dans la réaction, c’est elle qui m’écrase du poids de son immortalité irréversible ».

S’il est extrêmement enrichissant de partager la vie d’un créateur d’importance d’une école créatrice, il reste, dans une grande mesure et à mon sens, aujourd’hui, fort difficile pour une femme de s’imposer, et d’imposer son travail artistique, quelle que soit la dimension de son œuvre personnelle. Cela même si au sein du Lettrisme l’adoption d’une détermination sans faille ne différencie pas les êtres au travers de leur biologie d’origine, dans les conditions actuelles, une femme, surtout si elle vit aux côtés d’un novateur puissant cela pourrait, également, être le cas d’un ami homme, d’un frère ou d’un enfant, en raison des rapports de force qui s’instaurent naturellement entre tous les êtres , demeure singulièrement vulnérable et plus apte à se laisser« dévorer ». Car, somme toute, pour des raisons culturelles profondes et multiples, cette abnégation-abdication reste plus fortement ancrée en tant que substitut à une évolution personnelle.

   Anne-Catherine Caron, extrait de «Il Lettrismo al di là della femminilitudine.» Précédé de «L’apporto del Lettrismo e del juventisme al Movimenti di liberazione delle donne», par Isidore Isou, éd. Zéro Gravità, Sordevolo, 2008.



7 — Une fois le choc subi, par l'affreuse nouvelle du décès d'une camarade estimée, dans un accident de voiture, nous remuons à peine, dans la débâcle qui nous rend pareils aux plus humbles, aux agonisants en train de rendre l'âme, devenus insensibles à la souffrance et à la vie. En même temps, nous ramassons des bribes de pensée de notre évolution orgueilleuse; et, alors, nous redécouvrons que nous avons été exaltés, enchantés, par des êtres, au-delà de la mort, Arthur Rimbaud, Berthe Morisot, Vincent Van Gogh.

Et la famille qui semble avoir fait corps avec ces personnes, au point de nous traiter en étrangers, en intrus indélicats, arrivés sans droits auprès des leurs, ces parents quotidiens s'évanouissent, avec l'existence, disparaissent, à leur tour, au fil des jours, des années, en nous abandonnant, au delà de la cérémonie funèbre, l'œuvre, noyau quintessentiel, auquel se rattachent tous les gestes et faits, devenus secondaires et en même temps expliqués, de la créature à laquelle ils se croient liés par des rapports uniques.

Les toiles, les écrits, les dessins, les objets, de Micheline Hachette comptent autant qu'ils s'intègrent dans la structure d'un mouvement d'avant-garde de l'avant-garde, comme les peintures de Leonard de Vinci, à peine treize ou quinze en tout — on se perd entre ce qu'on lui attribue et ce qu'il a réellement effectué —, importent comme dimension représentative de la Renaissance.

Mes camarades de groupe et moi saluons la famille, réunie pour la cérémonie funèbre, et nous l'assurons que l'oeuvre de la personne qu'elle plaint, sera, toujours vivante pour nous et pour nos authentiques successeurs.

Isidore Isou, 29 janvier 1993

    Isidore Isou, «Quelques mots à la cérémonie funèbre consacrée à Micheline Hachette». Revue « Le Mouvement Lettriste », n°27, mars 1993.


    8 - C’est certainement parce que, plus particulièrement dans le domaine des arts visuels où elle s’est exprimée dès le tout début de 1964, elle a su réaliser et distribuer dans le temps, plusieurs œuvres explicites, qui appartiennent de plain-pied à la culture contemporaine, au point de parvenir même à la symboliser.  Pour ne mentionner que ce qu’elle a accompli plus précisément dans l’art de la reproduction, citons plusieurs rayogrammes à signes, de 1964, son ensemble intitulé Douze photographies lettristes, hypergraphiques, infinitésimales et supertemporelles, de 1971, qui figurait dans l’exposition de la galerie Fichbacher ou, encore, les sept chapitres de Chronique d’un été qui proposait, en 1973, des fragments de photographies ciselées en rapport avec des thèmes discrépants.

   Dans le cinéma, il me semble que cet auteur a créé, dans un axe déterminé, un ensemble cohérent de plusieurs films sans pellicule qu’elle a représenté d’une manière originale, à la fois sensible et humoristique. La fragilité de l’instantané constitué par les films infinitésimaux et supertemporels présuppose que le réalisateur consigne de manière explicite toutes les données dont les présentations au public n’intègrent plus que quelques objets du réel. Un travail systématique d’homologation et d’archivage doit donc présider à leur conservation. Ceci est le cas pour les films de cette réalisatrice dont l’œuvre filmique a le mérite d’être extrêmement concentrée dans la mesure où elle choisit de s’exprimer exclusivement dans les structures esthétiques imaginaires et de la participation des spectateurs. Abandonnant le support de la pellicule, elle s’investit dans un cinéma à faire et à défaire indéfiniment où elle réduit à l’essentiel ce qu’elle donne à imaginer afin de constituer un art qui se soustrait à toute la matérialité habituelle.

   Aimer un être consiste en la distribution d’un certain nombre de petits cœurs roses découpés et munis de rubans permettant leur fixation à la boutonnière des spectateurs. Sans doute, ces cœurs portés par chacun veulent-ils signifier l’accès à un amour universel à moins qu’il ne s’agisse pour l’auteur de « clamer » son attachement pour un être particulier, restituant ainsi sur le plan de l’imaginaire les états passionnels des héroïnes qui parcourent l’histoire du cinéma. Ce film a été présenté à la Cinémathèque de Paris, en 1970, tout comme A propos de Nice, qui a également été exécuté la même année par Annie et Ben Vautier, invités à la demande de l’artiste à distribuer des brins de mimosas à l’assistance dans le cadre du 1er Festival International d’Art Infinitésimal et Sup. L’auteur réalise sur le plan de l’art imaginaire une version personnelle du film de Jean Vigo en suggérant les réminiscences des plans où l’on voit des Niçois offrir de fleurs à des passants ou encore des chiens les ramassant comme des bribes infimes et dérisoires du Carnaval de Nice. Le parallèle est d’autant plus saisissant que comme dans le film de Vigo, la réalisatrice a choisi de faire interpréter son œuvre par des protagonistes locaux. Dans L’Art Corporel, de 1977, Isidore Isou cite ce film, au même titre qu’un autre de cet auteur, In, présenté en 1973 au Festival d’Edimbourg comme une manifestation de l’Art corporel.

   En 1978, elle compose Suite infinitésimale sur six réflexions esthétiques louches, une autre réalisation tout aussi particulière. Il s’agit d’une courte histoire traduite en neuf photographies montrant l’auteur vêtu des attributs caractéristiques des espions – Burberry, chapeau, lunettes noires et parapluie – au cours d’une enquête, la conduisant à surveiller subrepticement l’un de ses tableaux, qui s’achèvera par la venue d’un fantôme dont l’impossibilité à découvrir la clé de cette œuvre, le contraindra, finalement, à disparaître dans un fondu conclusif. Toutes les icônes du film policier, d’espionnage, voire de Fantomas semblent être ici convoquées pour nous inviter à une mission qui relève de l’impossible et de l’inconcevable. C’est en songeant à ce film réalisé sous forme de séquences où l’héroïne photographiée fustige à sa façon toute l’histoire des films de ce genre, qu’Anne-Catherine Caron concevra De Marjorie Cruelle à Roman à Equarrir, une œuvre filmique policière, à partir du roman de Richard Caron, publié en 1965 aux Editions Fleuve Noir. L’ouvrage est entouré d’une jaquette jaune, rappelant la célèbre collection du Masque, mais aussi les « Gialli » italiens, et d’un revolver attaché par une cordelette qui lui sert de bandeau pour signifier, par une redondance absolue, l’arrachement de cet attribut indispensable de la fiction, puis son entrée concrète dans l’univers des particules imaginaires pour suggérer la matière filmique à inventer. La même année, Micheline Hachette réalisera, entre autres œuvres, deux films « égyptiens », Frissons créateurs au fil du Nil, qui procède au déroulement de deux bobines de fil parmi les spectateurs, et L’année dernière à Abou Simbel, au cours duquel le public, toujours actif, est, cette fois, sollicité pour altérer symboliquement l’écran par le déversement sur sa surface des sachets contenant du sable qui lui aura été précédemment distribué.

    Anne-Catherine Caron, «Panoramique sur quelques œuvres de l’anti-cinéma lettriste», in «L’Anti-cinéma lettriste (1952-2009)», Ed. ZeroGravita, Serdevolo, 2009


9 - "(...) Quarante ans plus tard, Micheline Hachette, artiste pleinement inscrite dans le mouvement lettriste tente une expérience de film infinitésimal et supertemporel, intitulé « A propos de Nice » (1970) lors du 1er Festival International d’Art Infinitésimal et Supertemporel. Le projet : Ben et Annie Vautier offrent des brins de mimosas aux passants, invitant «ceux-ci à s’en servir comme supports pour constituer mentalement un film sur le thème de Nice». Micheline Hachette propose une version « imaginaire » du film de Jean Vigo, en suggérant notamment « les réminiscences des plans où l’on voit les Niçois offrir des fleurs à des passants ou encore des chiens les ramassant comme des bribes infimes et dérisoires du Carnaval de Nice » (A.C.Caron, in L’Anti-cinéma lettriste, Ed. Zero Gravità). Le cinéma infinitésimal inventé par Isidore Isou dépasse le monde de la représentation concrète pour un système de notation fondé sur des signes imaginaires. Le spectateur conceptualise lui-même mentalement «le film» à partir d’un thème, d’un objet, d’une phrase… "

   (Kaloust Andalian, "Le cinéma  entre deux "A propos..." , in L'Art contemporain et la Côte d'Azur, un territoire pour l'expérimentation 1951-2011 (pp. 248-261).


   10 - Micheline Hachette. Son oeuvre stoppée prématurément est l'une des plus sures du lettrisme plastique par son vocabulaire, son équilibre et sa simplicité dominée (1938-1993).

   (Jean-Pierre Gillard, extrait de "My first  lettrist dictionnary" in Lettrisme XXI siècle, site officiel. 2010).


   11 - Un cas intéressant est celui de Micheline Hachette, qui fait de nombreuses compositions à partir d’une forme de lettre évidée, ne comportant que des lignes droites jamais franchement obliques. Cette «lettre» (mais sans doute est-ce là un effet du mécanisme d’investissement projectif signalé plus haut) évoque assez bien l’initiale de son nom.

    Les Avant-gardes littéraires au XXè siècle, Tome 2. Théorie, sous la direction de Jean Weisgerber, p.908, éd. John Benjamins Publishing Company, 1984.